17 avril 2025

Par Yedidya Ebosiri
Je suis arrivée au Théâtre d’Aujourd’hui à 19h tapantes. Ma sœur et moi avons couru, craignant d’interrompre le silence des premières secondes du spectacle par le froissement de nos manteaux et nos timides « pardons » qu’on chuchote en zigzaguant entre une centaine de jambes.
Finalement, nous sommes arrivées justes au moment où une file de personnes s’était formée pour rentrer dans la salle. L’équipe d’accueil nous a souri et nous avons pris nos billets. Nous étions prêtes à voyager.
S’il y a une chose qui m’a marquée de Chronologies,
ce n’est ni le talent renversant des actrices,
ni les images poignantes du Burundi projetées sur scène,
ni même la force du texte, porté avec tant de justesse.
Ce sont les pleurs.
Les pleurs silencieux de deux jeunes femmes assises à ma gauche – que je suppose burundaises.
Ce sont les silences, parfois pesants, du public suspendu par la pièce.
Quelque chose s’est passé, cette soirée-là. Quelque chose de réparateur. Comme si les mots, l’ambiance et le soupir de la dramaturge ont su dire ce que tant d’autres taisent.
La pièce parle de femmes, de libération et d’identité. C’est l’histoire de trois femmes africaines dont les récits s’entrelacent, se heurtent, puis se dispersent.

Parfaite Moussouanga
Muco, née au Québec et interprétée par Stephie Mazunya, part au Burundi pour la première fois. Sa mère est morte ; ses cendres doivent retourner à la terre de ses ancêtres. Muco découvre alors un pays à la fois étranger et profondément familier. Un pays qui n’a pas tout à fait fait le deuil de la guerre civile entre Hutu et Tutsi — parce qu’il refuse d’en parler. Elle cherche des réponses sur qui était sa mère, une femme qui se tait comme son pays.
De l’autre côté, Kaneza arrive au Québec, seule, à 14 ans. Elle doit rejoindre ses sœurs et son oncle, sur l’ordre d’une mère diplomate à l’ONU qui se tue au boulot. Un conflit meurtrier perpétré par des rebelles à éclater dans un séminaire à Buta, une petite commune du Burundi. Son cousin, Prosper, en est une victime. C’est la première fois qu’elle voit sa mère pleurer.

Stephie Mazunya
Cette mère incarne le troisième personnage de la pièce. Interprétée par Parfaite Moussouanga, elle retrace les moments clés de sa vie de femme : la première fois que son mari l’a invitée à danser ; les factures qu’il ne payait pas ; la mission en Irak qu’elle a acceptée… comme elle a accepté d’être une femme qui rêve avant d’être mère.
La pièce se termine sur un monologue de Stephie. Elle abandonne alors son personnage pour s’adresser à cette mère fictive — et, à travers elle, à la sienne. Elle lui parle avec les mots qu’elle aurait voulu entendre. Des mots crus et des mots d’amour. Le monologue est principalement en kirundi. Pendant un bref moment, j’ai lâché les surtitres. Je me suis concentrée sur les cris de douleur, la respiration haletante et les syllabes, qui à elles seules fendaient l’air. C’était beau.
Chronologies parle de femmes, de libération et d’identité.
Elle parle pour celles qui n’ont pas osé dire.
Pour ceux dont la langue est figée.
Elle parle de manière universelle. Parce que la mort, la famille et l’amour sont aussi universels.
Yedidya Ebosiri
Rédactrice en Chef
Éternelle étudiante, Yedidya entame actuellement un diplôme de deuxième cycle universitaire en santé publique après avoir complété un baccalauréat en kinésiologie.
Le socle de ses intérêts professionnels repose sur la lutte contre les inégalités sociales de santé; elle rêve d’un monde plus sain, plus juste, plus vert. En attendant, elle puise dans ses racines congolaises pour militer en faveur d’une Afrique libre et féministe.
Tutrice pour une clientèle analphabète et intervenante de longue date en santé mentale, sa curiosité intellectuelle et son entregent caractérisent son parcours professionnel naissant. Autrefois éditrice pour un journal universitaire, elle ne cesse de nourrir sa passion pour le journalisme et se réjouit de mettre ses compétences rédactionnelles au service de sa communauté. Pour elle, Sayaspora incarne l’excellence noire et l’innovation sociale, d’où sa fière contribution au rayonnement du magazine.