Icône de 2 masques de théâtre

Société

Par Yedidya Ebosiri

En mars dernier, une polémique décomplexée fait la tournée du Web : « Ici, c’est Paris, pas le marché de Bamako », brandissaient quelques fidèles adeptes de Zemmour et consort. Après tout, Aya Nakamura, égérie de la prestigieuse marque Lancôme, mais aussi l’artiste féminine française la plus écoutée mondialement, est une noire. Que diable viendrait-elle faire sur scène lors des Jeux olympiques organisés sur le sol français ?

C’est du moins la question posée par la fachosphère en mars dernier, outrée par la rumeur d’une possible prestation de la reine de France à la cérémonie d’ouverture du 26 juillet prochain. Une femme noire, fièrement banlieusarde, qui chante du Édith Piaf ? Il n’est en pas question, revendiquent fermement l’électorat de Le Pen. Selon un sondage politisé par l’extrême droite, 63% des votants estiment qu’Aya Nakamura ne représente nullement la France et n’a donc pas sa place sur la scène des Jeux olympiques 2024. Sur la toile, les messages de haine à l’intention de la chanteuse prolifèrent de manière effrénée. Si son physique est la cible de moquerie, ses origines maliennes sont citées à outrance par les comptes tantôt anonymes, tantôt à découvert. Aya Nakamura, trop noire, trop « citoche » pour chanter la France sur les écrans du monde.

Une polémique raciste

« Vous pouvez être racistes, mais pas sourds » rétorque la vedette sur le réseau social X. Dans la foulée d’insultes émancipées, Aya Nakamura prend la parole. Un élan de mobilisation international prend vie sur la toile, des milliers de fans au front. Le mouvement est tel qu’une bonne poignée de personnalités publiques délient, elles aussi, leurs langues : Franglish, Dadju, Kalash Criminel, SDM ou encore Davinhor font partie des nombreux artistes dénonçant les attaques foncièrement racistes subies par Aya. Sur la scène politique, certains acteurs mettent en garde les détracteurs fachos, car la justice française reprendra l’affaire. Dernièrement, le président de la République Emmanuel Macron affirme officiellement que l’interprète de Hypé « a tout à fait sa place » aux Jeux olympiques.

 

Et malgré tout, Aya brille

Misogynoire chronique

S’il est vrai que cette affaire a pris des proportions spectaculaires, force est de constater qu’il s’agit d’un énième épisode signé misogynoir pour Aya Nakamura. Outre les remarques désobligeantes sur son apparence que plusieurs comparent à celle d’un homme, les médias français s’amusent régulièrement à déformer son nom et à sélectionner ses photos les moins flatteuses lors de la publication d’articles. Dans l’industrie musicale, c’était silence radio lorsque la chanteuse a révélé être la victime de violences conjugales perpétrées par son ex, le rappeur Niska. Lors d’un échange houleux entre les deux artistes, rappelons que Niska s’est empressé d’employer des propos plus misogynoirs les uns que les autres. Chose certaine, Aya Nakamura n’est pas la seule victime de ce type de violence : Serenna Williams, pour ne citer que cet exemple, a été le sujet de plusieurs caricatures grotesques niant sa féminité, mais pire encore, son humanité.

Au carrefour du sexisme, du classisme et du racisme, Aya incarne le cauchemar des fachos de ce monde : une femme franco-malienne, noire et foncée de peau, dont le succès est inéluctable. Et pour la descendre, les médias français attaquent : l’argot dans ses chansons rend celles-ci moins audibles, moins françaises. Pour un pays qui adore les étiquettes, il est difficile de classer la musique d’Aya Nakamura qui fusionne afrobeat, R&B et pop. Alors, on dit d’elle qu’elle est une artiste de « musique urbaine », un label qui sous-entend le mépris de classe que l’on réserve aux minorités visibles des quartiers, noirs, maghrébins et consorts. D’autres iront jusqu’à dire qu’elle est rappeuse, histoire de lui soustraire son identité artistique via un snobisme paresseux.

Et malgré tout, Aya brille.

 

« La misogynoire est un cocktail toxique »

À la seconde édition de la cérémonie des Flammes, c’est avec toute la prestance du monde qu’elle livre un spectacle à ses fans et à ses détraqueurs. Des rues d’Aulnay-sous-Bois au tapis rouge du MET Gala, la reine de France est maîtresse de sa propre narrative et secoue d’un revers de la main les flèches qui lui sont tirées. Aux attaques, elle ne répond pas toujours : pour survivre à la misogynoire en tant que femme artiste, il faut s’armer du silence. Manifestement, c’est ce qui confère à Aya toute sa grandeur. C’est son regard droit vers l’avant, ses paillettes et sa candeur ; c’est sa démarche pleine d’assurance et ce je-m’en-foutisme inortodoxe. Elle brille et sa lumière dérange.

Une conversation nécessaire

Mêlée au colorisme et au racisme systémique, la misogynoir est un cocktail particulièrement toxique. Au sein de la diaspora africaine, ce phénomène bien vivant se manifeste dans les conversations de couloir, dans les soirées estudiantines, dans les églises évangéliques ou encore dans les réunions familiales. La polémique autour d’Aya Nakamura n’est qu’un claquement signalant la réalité. Elle appelle à se regarder dans le miroir, en tant que société, sur la question de la misogynoir, hémorragie sociale qui tarde à être traitée.

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  • Yedidya Ebosiri

    Rédactrice en Chef

    Éternelle étudiante, Yedidya entame actuellement un diplôme de deuxième cycle universitaire en santé publique après avoir complété un baccalauréat en kinésiologie.

    Le socle de ses intérêts professionnels repose sur la lutte contre les inégalités sociales de santé; elle rêve d’un monde plus sain, plus juste, plus vert. En attendant, elle puise dans ses racines congolaises pour militer en faveur d’une Afrique libre et féministe.

    Tutrice pour une clientèle analphabète et intervenante de longue date en santé mentale, sa curiosité intellectuelle et son entregent caractérisent son parcours professionnel naissant. Autrefois éditrice pour un journal universitaire, elle ne cesse de nourrir sa passion pour le journalisme et se réjouit de mettre ses compétences rédactionnelles au service de sa communauté. Pour elle, Sayaspora incarne l’excellence noire et l’innovation sociale, d’où sa fière contribution au rayonnement du magazine.

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