31 octobre 2021
Par Candice Zogo
« Fok ou sav sakrifyé dèyè, pou wè douvan », proverbe antillais.
Il y a beaucoup de beauté dans la geste symbolique de tout quitter pour tout recommencer. Pourtant cette même énergie qui pousse à plier bagage, chamboule également intérieurement.
On commence par faire le deuil d’une période de sa vie.
Accepter de perdre des repères spatiaux que l’on a pris du temps à trouver.
Exprimer de la gratitude pour les projets qui ont vu le jour ici et ceux qui le verront ailleurs.
Avoir le cœur un peu brisé de laisser derrière soi des ami. e. s, nos petites familles éphémères.
S’asseoir dans l’avion et regarder le paysage enneigé se transformer en des kilomètres de verdure et de soleil.
Le retour au pays est une décision si honorable, et pourtant si douloureuse.
Il y a des moments d’obstination où on essaie de recréer\retrouver ce qu’on a laissé derrière soi et c’est souvent là que le processus de désillusion commence.
J’ai franchi la porte de la maison de ma mère saoule de sentiments.
Un cocktail de culpabilité, de joie, d’angoisses, de questionnements…
Si les premiers jours étaient dédiés à de paisibles retrouvailles, certaines problématiques n’ont pas tardé à faire surface.
Pas de diplôme
Pas de travail
Pas de thunes
Pas de permis
Pas d’espace vital
Et selon moi certaines de ces choses ne sont pas atteignables quand on ne se connait pas bien et qu’on ne sait pas vers où on s’en va.
Se libérer de ses chaînes et accéder à l’indépendance implique de se trouver en chemin. Définir qui l’on est, définir quelles sont nos valeurs profondes.
De tous les enseignements que j’ai reçus, voici un des plus vrais : quand on marche vers soi on marche également vers l’abondance.
Cependant, atteindre tout cela nécessite une importante remise en question. Une pause forcée, mais également méritée.
L’immobilité se présente également comme un défi. Il n’y a rien de plus frustrant que d’avoir 1000 idées qui se manifestent par jour et ne pas pouvoir les mettre à exécution.
La vie me demande d’être patient. e, de planifier, d’organiser.
De laisser ma manière si « cérébrale » de voir les choses étoffer les projets, les faire sortir de leur état brut. Leur donner une chance d’impacter sur le monde, comme le voudraient mes aspirations les plus profondes.
Alors j’attends.
Je me regarde dans le miroir de la vérité, je pose mes questions et j’attends que les réponses se manifestent.
J’ouvre timidement les yeux pour regarder en face la vie.
Je suis le bébé qui sort du ventre de sa mère, mais avec un corps, un cœur et un cerveau mature.
Le bébé à qui on transmet la compréhension intime de la Vérité.
Le bébé qu’on encourage à grandir dans la paix.
Je taffe le présent le matin
Je rêve du futur l’après-midi
Et en fin de journée, je regarde le soleil se coucher en me préparant déjà pour le prochain lever.
Candice Zogo
Auteure
Candice Zogo est née en France, d'un père camerounais et d'une mère guadeloupéenne. Elle a déménagé de nombreuses fois, mais a passé la majeure partie de sa vie dans la Caraïbe. En sa position d'afrodescendante queer, elle tend à adopter une vision inclusive, bienveillante et optimiste du monde. Elle voit en l'essence créative un outil de changement social et croit en l'impact des histoires orales, visuelles et écrites dans la construction des sociétés du futur.