30 juillet 2017
Par Kathleen Nandiguinn
Aujourd’hui, parler de société « culturellement pure » est insensée car la diversité est omniprésente dans notre quotidien. La France est un véritable kaléidoscope culturel qui s’est construit à travers plusieurs vagues d’immigration. De l’immigration auvergnate, bretonne à la décennie dé-coloniale d’Afrique et d’Asie, l’histoire nous montre que l’immigration a aussi bien eu un impact positif que négatif sur la société française au niveau démographique, économique et social. Mais comment penser donc la diversité en France ?
Lors des élections présidentielles, Emmanuel Macron a déclaré que « la France n’a jamais été une nation et ne sera jamais une nation multiculturelle ». Ces propos bien curieux amènent à s’interroger sur le rôle de nos ancêtres dans la construction de ce pays et la réelle place de la diversité. Observer Paris m’a permis de voir que la multiculturalité est un puissant terreau dans ce pays. Ville cosmopolite, tournée vers la mondialisation, les rues de Paris regorgent de richesses. À preuve, le quartier de la Goutte d’Or permet de s’imprégner de la culture africaine ; tout à côté, La Chapelle nous transporte dans un tourbillon de couleurs et de senteurs indo-pakistanaises ; à Belleville, l’art se mêle à la communauté chinoise et afro-antillaise ; et enfin, la dégustation de quelques halloth au Pletzl nous plonge dans l’univers juif.
Née en France de parents immigrés, j’appartiens à cette deuxième génération de l’immigration dont l’éducation est ballotée entre, d’un coté, l’espoir d’ascension sociale et d’intégration via la scolarisation ; et de l’autre, le désir de conserver le modèle culturel du pays d’origine. Lieu de socialisation, c’est donc à l’école que j’ai pu découvrir la diversité des cultures en osmose avec des individus venant de différents horizons. On ne cherchait pas à percevoir nos différences, mais plutôt à avoir une complémentarité puisque nous étions unis sous le même drapeau : on représentait la génération « Black Blanc Beur », fière de nos origines, fière d’être français.
C’est en grandissant que l’on m’a ramenée à ma condition d’individu « racisé » et de « sexe inférieur ». Ainsi, en tant que femme noire, je me suis demandée si j’appartenais à la société française ou si je ne représentais qu’une minorité appelée diversité. Jusqu’à maintenant, la parité Homme-Femme reste, un combat de longue haleine, notamment sur le marché du travail : on compte très peu de femmes cadres, dans les conseils d’administration ou chefs d’entreprise. Mais qu’en est-il de toutes celles issues de la diversité ? En France, aborder la question de la race et de l’ethnicité est plus complexe car les statistiques d’origine raciale, ethnique ou religieuse sont formellement interdites. Pourtant, l’expérience du testing[1] nous montre bien l’existence d’une discrimination potentielle sur le marché du travail pour les jeunes ne répondant pas aux critères de francité: à CV équivalent, un français d’origine extra-communautaire et musulman a 2 à 3 fois moins de chances d’être convoqué à un entretien d’embauche que son homologue chrétien. Amandine Gay explique qu’«être une femme noire en France est un enjeu spécifique » car la femme noire est à l’intersection de plusieurs formes de domination, comme le racisme, le sexisme et le classisme.
Le problème des pouvoirs publics est de vouloir faire la promotion de la diversité comme source d’innovation en ne se préoccupant pas de la réelle intégration des jeunes. Prôner le principe d’égalité ne vise qu’à occulter voire renforcer les inégalités sociales. Face à un contexte socio-économique de plus en plus défavorable, aux stigmatisations grandissantes envers les jeunes, ne supportant plus, du reste, de voir leur identité endommagée, certains choisissent de se tourner vers le communautarisme. Sur les brisées de Michel Wieviorka, j’estime que la diversité ne peut être qu’intéressante que si elle permet « de penser le lien entre reconnaissance de la diversité culturelle et la lutte contre les discriminations[2] ».
Néanmoins, avec force et ténacité, il est possible de montrer que les discriminations ne sont pas une fatalité et n’enferment pas la diversité dans cette image d’identité endommagée. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes issus de l’immigration mettent en place des projets innovants en devenant entrepreneur. Par exemple, à l’instar de la célèbre Oprah Winfrey, des femmes[3] ont décidé d’être de puissant levier d’influence entre la France et l’Afrique comme Leila Aïchi (sénatrice de Paris), Noura Moulali (fondatrice de OuiExpat), Nancy Traoré (présidente de l’Association Afric’Fusion) ou Fatou N’diaye (blogueuse et égérie de l’Oreal). Femmes engagées, elles incarnent cette France ambitieuse, loin des stéréotypes réducteurs (cf. Reportage « Black, chics et festifs » sur Enquête exclusive, diffusé le 14 Mai 2017).
Pour moi, cette diversité se construit et enrichit la France dans différents domaines (scolaires, économiques, sociales, politiques, associatifs, etc) ; une belle manière de changer les représentations, pour ouvrir la société française à sa réalité et proclamer avec Kery James, qu’« on n’est pas condamné à l’échec ».
[1] Claire Adida, David Laitin et Marie-Anne Valfort, « Les Français musulmans sont-ils discriminés dans leur propre pays ? Une étude expérimentale sur le marché du travail », 2009
[2] Réjane Sénac, « De la parité à la diversité: entre Deuxième sexe et discrimination seconde ». Modern and Contemporary France, Taylor & Francis (Routledge), 2010, 18 (4), pp.431 – 444.
[3] Ghalia Kadiri, « Diasporas africaines : quatre femmes puissantes ». Publié le 03/014/2017. Le Monde Afrique
Kathleen Nandiguinn
Auteure
Crédits images:
Source photo: France Tv Info