11 janvier 2021
Par Sayaspora
Au delà des orages, je pars en voyage.
Mon âme au vent, le coeur éléphant.
Je suis parti d’ici pour rencontrer la vie,
Être vivant, énormément.
Sur les épaules des géants,
Le coeur éléphant,
Voir au delà de nos vies.
(Le coeur éléphant, Frérot Delavega)
Quand beaucoup de gens se demandaient ce que signifiait avoir “le cœur éléphant”, dans un avion en direction de Yaoundé, il y a longtemps, j’en ai fait ma propre interprétation.
Plus qu’une chanson de hipsters blancs en soif de voyage, les paroles de cette chanson ont résonner au plus profond de moi et ont pris un sens propre à mon vécu.
Mon nom de famille signifie éléphant. L’éléphant possède la structure du cosmos. Une structure composée par les quatre piliers du monde, qu’il transporte sur son dos. Dans les croyances africaines, l’éléphant détient le rôle du père.
Pour moi le cœur éléphant est un cœur sage, un cœur empathique. Un cœur qui connait les battements de la vie, et le silence de la mort. Un cœur qui est également capable de voir au-delà de ce qui est explicable. Avoir le cœur éléphant c’est un mode de vie, une manière de voir les choses, c’est être spirituel.
Nos cœurs d’êtres humains sont mutants, s’adaptent aux circonstances afin de survivre à nos vagues émotionnelles.
Ce jour-là, assise dans l’avion, en écoutant cette chanson, mon cœur et passé en mode éléphant.
***
J’ai eu la chance de pouvoir me rendre en Afrique trois fois dans ma vie. Trois voyages significatifs que j’ai vécus différemment, auxquels j’ai collé des significations après du temps et de la réflexion.
Mon premier voyage était un voyage de reconnaissance. Un voyage qui à pu apaiser mes interrogations, mon ignorance. Où j’ai pu coller des visages sur les voix que j’entendais au téléphone.
J’ai rencontré ma bombo (mon homonyme), ma grand-mère. Celle à qui je suis éternellement liée par le prénom. Celle qui maintenant qu’elle a quitté son corps, vie à travers moi, grâce aux souvenirs qu’elle m’a laissée, à ses enseignements, à ses traits physiques et caractériels que je porte si bien.
Mon second voyage, était pour célébrer une union. C’était le mariage de mon cousin. Pour l’occasion on a fait le tour du Cameroun en bus pendant une semaine, mon premier road trip en Afrique. Un voyage gorgé d’amour et d’instructions.
Mon troisième, et pour l’instant le dernier était bien plus triste. C’était un voyage d’adieu. C’est d’ailleurs dans le trajet de l’aller que j’ai découvert la chanson Le cœur éléphant. C’est lors de ce trajet que mon cœur a muté, afin de gérer sa peine de manière optimiste.
Nous avons rapatrié le corps de mon père au Cameroun, mort.
C’était un geste symbolique. Pour rendre à la terre de Ndon ce qu’elle nous avait offert: un père aimant.
Il est né dans la brousse à quelques mètres de là où il a été enterré.
Dans cette période sombre de ma vie, l’Afrique m’a soigné. Elle m’a accompagnée pendant une étape de mon processus de deuil.
Je suis arrivée à Yaoundé avec une vision occidentale de ce qu’est la mort: des prières chantées sur un piano qui pleure des notes lugubres, des vêtements noirs et blancs et des sanglots incessants. Le village de Ndon a accueilli ce décès avec tristesse, mais en le célébrant, car la mort ce n’est pas la fin, c’est le début de quelque chose de plus grand.
Je me sentais en décalage dans ma robe en wax toute colorée, mon maquillage waterproof, et mes escarpins tout neufs trop hauts pour moi, et pourtant j’étais à la bonne place.
Je ne connaissais rien aux rites, aux coutumes, et pourtant je comprenais le sens de chaque geste, chaque parole, chaque action. Et une fois sûre que les ancêtres sont venus le chercher, j’ai quitté l’Afrique et le reste de ma famille pour rentrer au Canada.
Tout cela n’a pas pu m’empêcher d’être triste et de passer par des étapes difficiles, mais on va dire que d’une certaine façon, ça a nourrit et préparer une partie de moi à grandir.
Nous les enfants issus du métissage culturel, on est constamment tiraillés par nos diverses origines. Toujours à la quête de se faire accepter dans tous les camps, une recherche de soi qui ne finit jamais, car au fond on veut juste savoir qui l’on est, on veut juste trouver une maison qui veut bien de nous.
À moitié guadeloupéenne, à moitié camerounaise je suis juste à l’intersection de différents problèmes identitaires. Je sais que je suis condamnée éternellement à me sentir comme une imposteuse. Et pourtant je crois que tout cela est également l’essence de ce que je suis aujourd’hui. C’est le moteur de beaucoup de mes croyances, de mes combats et de mes actions pour les mener.
J’active mon cœur éléphant quand c’est nécessaire. C’est un super pouvoir que l’on m’a donné et j’espère pouvoir en faire bon usage.
Il est là pour me rappeler que quand la France me hait pour ce que je suis et quand le Canada me rejette ce n’est pas la fin. Il est là pour me rappeler que quand la mort est proche, et qu’elle me fait trembler, mourir n’est pas une finalité en soit. Il est là pour me rappeler que j’ai vécu des choses sombres et que jamais elles ne m’ont terrassée.
Avoir le cœur éléphant c’est croire en l’espoir.
Être afro descendante c’est l’être.