17 novembre 2021
Par Samantha
Alors que je conduisais vers mon lieu de travail, une chaude après-midi d’avril, je sondais à travers les stations FM dans l’espoir de tapisser de mon habitacle motorisé de sons et de rythmes plaisants à mes oreilles. Fidèle à mon habitude presque rituelle : j’ouvris la radio, restai quelques secondes pour valider si j’appréciais ce que j’entendais, me désintéressais de ces airs dont j’ai écouté mille fois déjà sans avoir accroché une seule fois, changeait de poste et répétait cette séquence jusqu’à ce que j’arrive à destination. Or, cet après-midi-là, comme pour me faire ravaler mes idées fixes quant au concept de la radio comme divertissement, je suis tombée sur une soie auditive. Non, ce n’est ni sur Virgin Radio, ni sur The Buzz que j’en ai fait l’heureuse découverte. Si je me souviens bien, c’était sur une station de plus petite envergure; peut-être était-ce une station étudiante, peut-être communautaire. Quel qu’il en soit, je rends ici-là grâce aux institutions radiophoniques pour m’avoir introduit aux Mamans du Congo par l’entremise d’une de leurs pièces nommée Ngaminke.
Les Mamans du Congo, c’est un collectif afro-féministe défendant sans réserve leurs matrimoines. Dans cet album produit de concert avec le producteur français RRobin, nous assistons à une fusion de styles ficelée intelligemment et naturellement. Entre des éléments dépeignant des paysages sonores rappelant un Congo traditionnel d’une part et de la culture électronique occidentale d’une autre part, l’auditeur se trouve au milieu d’une expérience cinématique unique, narré en lari1 par la meneuse du collectif Gladys Samba et soutenues par les autres voix des Mamans.
Lorsque j’ai entendu la chanson Ngaminke pour la première fois, je ne pouvais m’empêcher de me laisser envoûter par les riches textures présentes. Tout d’abord, la chanson ouvre en douceur avec des bruits rappelant l’écoulement d’un ruisseau, suivi d’une pulsation feutrée accompagnant des percussions jouées légèrement, de coussins harmoniques veloutés et d’une ligne de basse percutante et timide à la fois. Tous ces ingrédients apparaissant en gradation culminent vers l’entrée d’un chœur de femmes chantant à l’unisson une mélodie qui me fait songer à un lament ponctué d’optimisme. Gladys Samba apparaît alors à son tour pour raconter ce qui l’habite… Rien que ces quelques instants d’introduction ensorcèlent. Ce petit ruisseau tranquille se fait sentir comme un torrent au gré des secondes, alors que l’instrumentation se fournie au fur et à mesure en une dense forêt électrisante, gracieuseté du faiseur de rythmes RROBIN.
Bon. Il va sans dire, j’ai adoré cette chanson. Je me suis donc résolue à me taper le reste de l’album chez moi. Les performances vocales et le sentiment d’immersion dans un pays qui m’est étranger m’ont certes charmé. Cependant, à travers les diverses compositions, j’ai également été séduite par l’orchestration des instruments rythmiques ainsi qu’aux dynamiques qu’elles apportent.
Prenons par exemple Meki. Sur un tempo modéré, supporté par une batterie électronique interprétant une cadence qui s’apparente au style trap et hip hop, Gladys déclame ces vers conformément aux mœurs de ces styles, mais dans une langue congolaise. De par cet agencement, Les Mamans du Congos et RRobin2 accentuent le métissage entre l’Occident et l’Afrique, ainsi qu’entre la tradition et la modernité. Bordel de rap, par opposition, évoque bien moins l’Europe ou l’Amérique du Nord. En raison d’un segment répété en boucle de martèlements graves d’un marimba ainsi que de coups de cloches portés sur les temps, ici la batterie électronique enjolive cette piste à l’occidentale. Or, l’emphase dans cette pièce s’appuie tout de même davantage sur des sonorités africaines. Bref, il s’agit d’un exemple à titre comparatif pour exprimer mon appréciation des diverses chansons de cet album, chacune ayant une saveur unique à elle; album qui d’ailleurs est le premier des Mamans du Congo ainsi que leur première collaboration avec RROBIN.
Mise à part les processus de composition et de production de cette œuvre, cet album m’a marqué par ses revendications sociales, par l’embrasement de la culture congolaise d’hier et d’aujourd’hui ainsi que par l’hybridation culturelle dans le but de mieux s’inscrire dans son temps. Je salue les artistes qui nouent avec leurs racines et les subliment à leur façon leurs expériences identitaires pour les livrer au monde. Mes seuls navrements sont d’abord de ne pas avoir eu accès à un interprète disposé à me traduire les paroles en lari (Google Translate n’est guère, même loin d’être fiable), et de ne pas voir cet album rayonner à de plus hauts degrés à travers les frontières de ce globe. Peut-être qu’au fond, il ne suffit que de s’ouvrir à son prochain et de partager ce qui fait battre notre cœur… qui sait ce qu’on peut récolter de ces gestes ?
Samantha
Auteure