Depuis la montée en popularité de l’application TikTok, on peut assister à la naissance de nombreux trends mettant en avant humour, mode de vie, musique, chorégraphies, et autres — à l’image des tendances qui rythment la culture populaire. Parmi cette vague de courtes vidéos aux contenus inépuisables, on peut fréquemment tomber sur celles qui mettent en avant des routines similaires, souvent accompagnés du hashtag #thatgirl, un modèle de vie qui hante les réseaux sociaux depuis une dizaine d’années.
Mais cette obsession pour le “Healthy Lifestyle” et cette quête du “Becoming the best version of yourself” sont-elles réalistes ? Quel message l’ascension de “that girl” fait-il passer aux personnes racisées ?
Qui est “That girl” ?
Sur la chanson “This how falling in love looks like”, That Girl se réveille avant 8h du matin, fait son lit, prépare sa boisson au matcha, attache ses longs cheveux en queue de cheval avant d’enchaîner sur son workout quotidien qui lui permet d’entretenir un corps svelte. Elle prépare ensuite un porridge de flocons d’avoine aux fraises et aux bleuets accompagnée de sa gourde d’eau citronnée, avant d’enfiler un ensemble monochrome de teinte beige pour démarrer sa journée productive.
Voilà le genre de routine que l’on retrouve sous le hashtag #thatgirl, mettant en avant des jeunes femmes dans des esthétiques totalement similaires. Un archétype dont la composition s’inspire d’un mélange de développement personnel et de culture du bien-être (healthy diet, yoga, workout, méditation, etc…). Des tendances très certainement basées sur de bonnes intentions, mais qui deviennent vite un problème quand elles deviennent le goal de milliers de personnes, en majorité de jeunes femmes.
La vie de That Girl se base sur 5 principes : Bien-être, Diète, Sport, Productivité, Esthétique minimaliste. C’est une formule charmante à l’oreille, mais pour bénéficier de sa magie il faut avoir les moyens financiers, la bonne couleur de peau, et le bon emploi. Il est connu de tous, que les personnes issues de milieux précaires ou de communautés immigrantes sont celles que l’on croise aux premières et dernières heures dans le métro. Pourtant, ça n’a jamais été l’objet d’un trend ou un exemple de vie productive. Tout simplement parce que ces personnes ne correspondent ni à une classe sociale enviable ni aux bons critères de beauté, généralement convoités dans la société. En effet, pour devenir “that girl”, il faut avoir accès à un certain niveau de vie.
Les « red flag » sur les dangers que renvoie l’image de ce mode de vie ont déjà été cités de nombreuses fois, dénonçant les enjeux capitalistes, patriarcaux et classistes se cachant derrière la trend; mais aussi l’effet qu’il provoque à long terme sur l’estime de soi et les comportements alimentaires des personnes qui ne peuvent pas y accéder.
Afin de devenir “la meilleure version de soi-même”, devons-nous toutes concocter la même recette?
“Becoming that girl” et l’inclusivité
Sur TikTok, il faut faire défiler la page de résultat de recherche sous le hashtag That Girl pendant un long moment avant de tomber sur une personne racisée. Comment interpréter cette donnée ? Les femmes racisées ne s’intéressent-elles pas à la culture du bien-être ? Ne sont-elles pas productives ?
Depuis quelques années, nous sommes martelés de self-love et de développement personnel à longueur de journée. L’empowerment au féminin, mis en avant ces dernières années est également une composante essentielle de l’obsession de That Girl pour la productivité : c’est la femme qui réussit professionnellement ou qui vise la réussite professionnelle, selon le modèle sociétal occidentale. Alors, quand l’image qui y est associée est celle d’une femme cis, jeune, blanche et skinny cela devient vite problématique.
Il suffit de rentrer les bons mots-clés pour tomber sur les vidéos de personnes racisées. Quand on tape “black that girl” sur YouTube, la première vidéo qui s’affiche est “becoming that girl (…) living my best life as a black woman” et c’est un soulagement de lire ce titre.
Becoming “THAT Girl” how to be the best version of yourself & Living my best life as a BLACK WOMEN
Pourtant, ce titre soulève une question importante : That Girl peut-elle vraiment être noire ?
That Girl se veut être une personne avec un modèle de vie et un physique qu’on aspire à avoir. L’absence de personnes racisées, ou le fait que les routines de celles-ci soient moins visibles, pousse à se demander si les communautés des réseaux sociaux les trouveraient moins inspirantes. Et pourquoi? Les critères pour être classé sous ce hashtag sont tellement élevés, que même être blanche, skinny ou sportive peut ne pas être suffisant.
Alors si tant de personnes ont des difficultés à s’identifier à #thatgirl, peut-être est-il temps de questionner la réalité de son existence ? Sa routine parfaite et contrôlée n’est-elle pas une supercherie ? Plutôt que de pousser les femmes à se conformer, en suivant à la lettre des modèles nucléaires de réussite, pourquoi ne pas les pousser à faire avec ce qu’elles ont, et arrêter de les culpabiliser pour ce qu’elles n’ont pas? Commencer à valoriser LES parcours des femmes racisées et trouver des solutions durables à leurs difficultés?
Enfin, cesser de les mettre toutes en compétition pour essayer de savoir qui sera That Girl et les féliciter de leurs différences, car elles sont These Girls.
Autrice : Candice Zogo