18 novembre 2024
Par Yedidya Ebosiri
Dieynaba Samb, Nabou pour les intimes. En elle se trouvent la force de milliers de femmes et la douceur d’une mère. Dans la fraicheur de son rire et dans la franchise de ses mots, son récit percutant me laisse sans voix. Coiffeuse de métier, mais femme avant tout, elle révèle le secret de son succès avec candeur et force tranquille. À celles qui se demandent si Dieu existe, le parcours de Nabou Beauty sera peut-être votre réponse.
La présentation
Originaire du Sénégal, Dieynaba dépose ses valises au Canada en 2011. « D’habitude, les Dieynabas dans nos pays en Afrique de l’Ouest, on les appelle souvent Nabou […], » précise-t-elle gentiment. Un surnom affectueux qui, comme son rêve de devenir coiffeuse, voyagera loin de sa terre natale. Elle est maman de deux enfants.
Aujourd’hui propriétaire du salon Nabou Beauty à Montréal, son aventure capillaire remonte à plusieurs années de cela : « J’ai commencé la coiffure depuis le Sénégal. J’allais à l’école et puis j’allais faire la coiffure à côté, dans le salon d’une tante. C’est là que j’ai développé cette passion-là, » raconte-t-elle durant notre échange.
Une fois au Québec, ce n’est pourtant pas le chemin qu’elle empreinte au départ : « C’est là que j’ai compris que, dans le fond, c’est la coiffure que je veux. » Courageusement, Nabou choisit de quitter son emploi pour se consacrer à ce qui l’anime véritablement : « Aujourd’hui je travaille et je m’amuse. J’aime vraiment tout ce qui est dans la coiffure. » En 2018, elle fait le grand saut en ouvrant son tout premier salon, sur la rue Marseille à Montréal, avant de le rouvrir sur la rue Sherbrooke. Et ainsi commence une aventure parsemée d’obstacles, de prouesses, mais surtout d’amour.
« C’était vraiment un pur hasard que j’ai ouvert ce salon-là. J’étais en burn-out dans mon travail. Je cherchais beaucoup à savoir qui j’étais, où je voulais aller, qu’est-ce que je voulais faire. […] »
Le parcours
« Comment votre salon a-t-il évolué depuis son ouverture jusqu’à aujourd’hui ? » demandai-je curieusement. Quelques secondes s’écoulent avant que Nabou, à l’autre bout du fil, réponde entre deux soupirs : « On peut dire que j’ai eu beaucoup de chance depuis le début. »
S’en suit la narration d’une histoire pleine de rebondissements que Nabou raconte avec nostalgie : « C’était vraiment un pur hasard que j’ai ouvert ce salon-là. J’étais en burn-out dans mon travail. Je cherchais beaucoup à savoir qui j’étais, où je voulais aller, qu’est-ce que je voulais faire. J’avais démissionné de là où je travaillais [soit] le salon de coiffure Inheritance, qui m’avait formée d’ailleurs en cheveux naturels, que je remercie beaucoup en passant. »
Un jour, une amie lui envoie un lien vers une publication de salons de coiffures mises en vente : « Quand tu me dis que tu es à la maison et que tu ne fais rien, ça me fait mal parce que je connais ton talent, » lui reproche cette ancienne collègue. À reculons, Nabou se résout à ouvrir le lien uniquement « pour lui faire plaisir ». Puis, comme si le ciel lui souriait, elle tombe sur une annonce qui attire son attention. « J’ai cliqué dessus et ça m’a dit, c’est à 7 minutes de votre maison. J’ai tapé l’adresse. C’est deux minutes de voiture de votre maison. » Après deux, trois coups de fil, elle s’y rend après avoir récupéré son fils à la garderie. Coup de foudre ; le salon, autrefois une propriété familiale depuis 1979, lui appartient désormais.
En créant son salon, Nabou créait ses propres règles dans un univers qui est désormais le sien.
La motivation
J’ai cherché à comprendre pourquoi Nabou s’est lancé dans un projet aussi audacieux. Après tout, être entrepreneuse, c’est dire oui à l’inconnu. C’est faire preuve de courage et d’une motivation qui transcende tout doute. « Moi, j’ai ma manière de travailler, j’ai ma manière de faire avec mes clients, » affirme alors Nabou. « Il y a des décisions, il y a certaines choses que je ne pouvais pas faire [en travaillant pour quelqu’un d’autre]. »
Elle explique d’abord que les petites attentions ont toujours fait partie de sa gamme de services : « J’ai toujours aimé donner des petits messages à mes clients. Quand le salon ne donnait pas de petits cafés, de petits trucs, moi, j’allais acheter mes thés, mes petits sticks de café et tout, » et que cela se retournait parfois contre elle : « Ces petits trucs-là, à un moment donné, dans certains salons, ça pouvait créer un problème […] parce que c’est comme si on me privilégie. »
L’entrepreneuriat était donc un choix évident. En créant son salon, Nabou créait ses propres règles dans un univers qui est désormais le sien. Un salon signé Dieynaba, où rien ni personne ne pouvait l’empêcher de choyer sa clientèle.
Les défis, Nabou n’en a pas manqué. « Une fois, j’ai travaillé de 10 heures du matin à 6 heures du matin. Quand je suis sorti du salon, j’ai vu le restaurant en face qui a ouvert. »
La résilience
Les défis, Nabou n’en a pas manqué. Entre refus de prêts bancaires et fin abrupte du contrat de vente, elle a tout de même navigué à travers les rapides. Pour rassembler la somme d’achat de son premier salon, elle compte sur le support de son ex-conjoint, ses économies et le prêt monétaire de son grand frère. Par chance, le salon comprend une partie du matériel nécessaire à l’accueil des clientes. À l’aube de l’ouverture, elle achète rapidement quelques fils, aiguilles et produits afros dans l’attente d’un premier rendez-vous : « Et, comme par hasard, il y a eu des clients qui ont appelé, qui ont dit, Nabou, je veux que tu me fasses les cheveux. Et j’ai dit yes. »
Tirée de Instagram @djamishere
Tranquillement, la clientèle s’agrandit – femmes noires, blanches et de tout horizon se rassemble sous un même toit durant les premières semaines pour être sublimées par les doigts de fée de Nabou Beauty : « J’avais décidé d’embaucher les coiffeuses québécoises qui étaient là et les combiner ensemble avec nous. Et ça m’avait donné beaucoup d’enthousiasme […] parce que d’habitude, ici, les salons sont seulement blacks. Donc j’ai dit, waouh, on va enfin se connaître, on va leur montrer qui on est réellement. C’était vraiment trop beau. »
Nabou précise que, cependant que fut un modeste début. Pour financer l’équipement manquant, dont les casques chauffants et les lavabos, elle travaille sans relâche et participe à des tontines locales. « Après, j’ai connu Micro Crédit Montréal. Et eux, ils m’ont vraiment, vraiment aidée. Ils ont eu confiance en moi dès le premier jour, » s’exclame-t-elle en les remerciant de passage.
Et c’est ainsi que tout a commencé, dit-elle.
« Il y a les amis, les références. On a commencé à publier. Je faisais tout moi-même. Je faisais les publications, les photos. Je faisais tout. »
Le stress est à son comble, mais la paix aussi : « Dieu m’a donné cette petite tranquillité au fond de mon cœur […]. »
Pendant des mois, Nabou enchaîne des heures interminables au salon. « Une fois, j’ai travaillé de 10 heures du matin à 6 heures du matin. Quand je suis sorti du salon, j’ai vu le restaurant en face qui a ouvert. » Malgré les doigts engourdis par les tissages, les nattes et les brushings, elle sourit : « On a passé toute la nuit, on a rigolé, on a mangé, et puis c’était fait. Le lendemain, j’ai pris ma douche, j’ai fait mes prières, et puis je suis allée me coucher. »
À la suite de 5 années de travail acharné et de clientes satisfaites, Nabou se retrouve à la croisée des chemins où une lourde période de défis personnels et familiaux l’incite à prendre une pause. Après mûre réflexion, elle lâche prise et retourne sur la terre de ces ancêtres pour se ressourcer. Un samedi de février 2023, son contrat de salon échu malgré les appels incessants de la clientèle pour des rendez-vous. Le stress est à son comble, mais la paix aussi : « Dieu m’a donné cette petite tranquillité au fond de mon cœur. Même si ça bout, ça bout, ça bout, il y a le feu, il y a une petite partie dans mon cœur qui me dit toujours ça va aller. »
Un dimanche d’hiver, elle descend du métro accompagné de son fils quand elle aperçoit un autre espace de coiffure sur lequel est affiché un numéro de téléphone. Elle téléphone ; elle prend sa chance. La propriétaire dudit salon l’invite pour une visite qui finalement se transforme en collaboration fructueuse entre les deux coiffeuses. « Et c’est une fille que je remercie, Stacy. Elle a un cœur énorme. » Puis, sur un plateau d’argent, l’opportunité de rachat du salon se présente de nouveau à Nabou en l’espace de quelques mois de travail exemplaire.
Pour Nabou, il est hors de question d’abandonner tant que sa foi fait déplacer les montagnes.
L’héritage
L’une pourrait se demander ce qui pousse une femme à se battre comme Nabou l’a fait. Est-ce le besoin de se tailler une place dans le monde? Celui de transmettre un héritage? La volonté de se prouver quelque chose? « J’ai ouvert le salon en février, et le premier, et le mois d’avril, j’ai perdu ma mère. Trois mois après, j’ai encore perdu mon père. »
J’étais bouleversée à l’écoute des paroles de Nabou.
« J’ai failli ne pas me relever, » confie-t-elle, « mais je pensais toujours à ma mère, parce qu’elle était une femme entrepreneur. Elle me donnait tellement de courage et me disait toujours « je suis fière de toi. » Pour Nabou, il est hors de question d’abandonner tant que sa foi fait déplacer les montagnes.
Aujourd’hui, son art de l’accueil fait l’unanimité : « J’aime mettre les gens à l’aise, j’aime donner à manger, j’aime prendre soin des gens, » confirme l’entrepreneuse entre deux rires. Héritage de l’hospitalité sénégalaise, le salon accueille ses clientes avec une générosité typiquement ouest-africaine. En wolof, on appelle cela la Teranga : « Dès que tu donnes à manger, tu commences à rigoler […], et puis la tension commence à baisser parce que ce n’est pas facile aussi de venir faire ses cheveux, » explique Nabou.
Pour elle, son salon est un morceau de sa terre natale – son petit Sénégal.
Rêvez en grand. Et vous verrez, comme Nabou, que le ciel est la limite.
L’avenir
Quand j’ai demandé à Nabou où est-ce qu’elle voyait on salon dans 5 ans, sa réponse fut limpide : l’expansion n’est pas sa quête principale. Au contraire, le véritable succès d’un salon de coiffure trouve son essence dans une équipe soudée, insiste-t-elle, en sachant que les personnes dignes de confiance ne courent pas les rues. Tout compte fait, la quantité de sièges occupés n’en vaut pas la chandelle si elle se fait au prix de la qualité des services : « Je préfère investir, être plus grand, avoir plus de coiffeuses et être stable et faire bien les choses. »
À toutes celles qui désirent se lancer dans la coiffure, ne comptez que sur vous-même, conseille Nabou : « Rien n’est acquis et qu’il n’y a personne [en permanence]. »
Assurez la cohésion de votre équipe, ajoute Nabou : « Quand on a une bonne équipe qui est en bonne santé, on est bien, on rigole ensemble, on sort ensemble […]. Même si la majorité de l’équipe est musulmane, on fête Noël et le jour de l’an ensemble chez moi. »
Et surtout, prévient Nabou, prenez soin de vos clients en leur offrant respect et considération : « Il faut donner sa parole, toujours faire les choses comme il faut, ne pas exagérer dans les prix, être honnête. C’est ça, le respect. » Ce principe, Nabou l’applique à la lettre près et va même au-delà : « J’ai des clientes, quand elles étaient à l’université, moi, je suis déjà allée dans leur chambre d’université les coiffer au début. Elles sont des cadres maintenant. »
Pour finir, elle vous prie d’oser. D’oser vous lancer. Et de vous réfugier dans la prière lorsque les vagues s’agitent. Moi, je vous dis de rêver. Rêvez en grand. Et vous verrez, comme Nabou, que le ciel est la limite.
Coordonnées :
- Instagram : @naboubeauty
- TikTok : @naboubeautycoiffure
-
naboubeauty@gmail.com
Yedidya Ebosiri
Rédactrice en Chef
Éternelle étudiante, Yedidya entame actuellement un diplôme de deuxième cycle universitaire en santé publique après avoir complété un baccalauréat en kinésiologie.
Le socle de ses intérêts professionnels repose sur la lutte contre les inégalités sociales de santé; elle rêve d’un monde plus sain, plus juste, plus vert. En attendant, elle puise dans ses racines congolaises pour militer en faveur d’une Afrique libre et féministe.
Tutrice pour une clientèle analphabète et intervenante de longue date en santé mentale, sa curiosité intellectuelle et son entregent caractérisent son parcours professionnel naissant. Autrefois éditrice pour un journal universitaire, elle ne cesse de nourrir sa passion pour le journalisme et se réjouit de mettre ses compétences rédactionnelles au service de sa communauté. Pour elle, Sayaspora incarne l’excellence noire et l’innovation sociale, d’où sa fière contribution au rayonnement du magazine.