14 novembre 2024
Par Yedidya Ebosiri
Le racisme systémique, cette plaie sociale qui se manifeste insidieusement à travers les époques et les cultures, dans les centres hospitaliers et dans les universités, pernicieux et grotesque. Le pourquoi du combat d’Assa Traoré, le pourquoi du décès de Joyce Echaquan. Tantôt subtil, tantôt violent, le racisme systémique est l’assise de plusieurs sociétés contemporaines, n’en déplaise aux négationnistes. Ancré dans une histoire d’impérialisme et de colonialisme, il s’agit d’un phénomène complexe aux simples retombées. Même les plus optimistes ne sauraient dire s’il est possible de véritablement l’éliminer. Chose certaine, pour combattre ce racisme, il faut d’abord le comprendre.
Racisme systémique 101
Si le racisme classique se nourrit de l’idée de races supérieures, le racisme institutionnel ou systémique le proclame à plus grande échelle. Enraciné dans les structures et les systèmes de nos sociétés, il faut parfois plisser les yeux pour bien le voir. Ce racisme existe dans les prisons américaines, disproportionnellement occupées par des personnes noires. Il est palpable dans les 27 communautés autochtones sous avis de non-consommation d’eau potable en 2022. Il se traduit par les obstacles incessants à l’accès aux soins de santé pour les réfugiés. Il se cache même dans les trottoirs étroits des quartiers multiethniques, exposés aux autoroutes et aux logements parfois insalubres. Même dans sa forme la plus subtile, le racisme systémique altère les vies de ceux qu’il frappe.
Les racines du racisme systémique peuvent être tracées jusqu’à l’histoire coloniale et à l’impérialisme occidental qui ont institué des structures de pouvoir basées sur la race. Ces structures, bien qu’invisibles, ont été codifiées dans la loi et intégrées dans les institutions économiques et politiques, perpétuant les disparités raciales longtemps après cette époque.
Tantôt subtil, tantôt violent, le racisme systémique est l’assise de plusieurs sociétés contemporaines, n’en déplaise aux négationnistes.
Sur le continent africain, l’exemple classique de l’Afrique du Sud illustre adéquatement les rouages d’une société envenimée par le racisme institutionnel. Sous l’apartheid, la population était divisée en groupes raciaux officiels, et les lois déterminaient où ces groupes pouvaient vivre, travailler, et étudier. Ce système violent a créé une structure socio-économique qui privilégie les Blancs et marginalise les Noirs ainsi que les autres groupes ethniques. Malgré les réformes du gouvernement sud-africain pour démanteler le racisme systémique, le fossé entre les groupes d’individus demeure et le climat social en souffre.
Cicatrices et stress chronique
Au-delà de creuser des fossés sociaux profonds, le racisme institutionnel inflige des séquelles durables sur la santé physique et mentale des communautés affectées. Les recherches révèlent que l’exposition continue à la discrimination raciale peut déclencher une cascade de troubles de santé, incluant le stress chronique, l’hypertension artérielle, et une prévalence accrue de maladies cardiaques. Ce stress permanent, souvent qualifié de « charge allostatique », est le résultat d’une adaptation incessante à un environnement hostile et discriminatoire.
Bien que des efforts colossaux demeurent toujours nécessaires pour décrasser le système du poison qu’est le racisme, il faut reconnaître que la voie est tracée […].
En parallèle, le racisme systémique alimente un cycle vicieux de pauvreté au sein des communautés racisées. L’accès inégal à des emplois bien rémunérés et à une éducation de qualité creuse un écart de richesse qui se transmet de génération en génération. Cette situation est exacerbée par des pratiques discriminatoires dans le secteur bancaire, l’investissement, et l’immobilier, bridant ainsi les opportunités pour les minorités ethniques d’embrasser l’entrepreneuriat et l’accès à la propriété. Sous le poids écrasant du racisme systémique, ces communautés peuvent aussi expérimenter une érosion de la confiance envers les institutions et voir leur participation à la vie politique et économique sévèrement diminuée.
Lutter pour de vrai
Pour lutter efficacement contre le racisme systémique, divers experts et organisations ont d’abord proposé de reconnaître officiellement l’existence du racisme systémique. Cette reconnaissance n’est pas seulement un débat sémantique; elle sert de point de départ pour entamer un véritable processus de réconciliation. Ainsi, l’hommage annuel aux victimes des pensionnats autochtones lors de la Journée de nationale de la vérité et de la réconciliation au Canada est un point de départ. Il en va de même la Colombie-Britannique qui, en juin 2022, a adopté l’Anti-Racism Data Act, visant à collecter des données pour mieux comprendre et combattre le racisme systémique.
L’expertise antiraciste recommande aussi de simplifier et d’améliorer le processus de gestion des plaintes au sein des institutions pour garantir une réponse adéquate et équitable aux préoccupations des citoyens affectés. C’est du moins ce que tente de réaliser le Bureau de la commissaire à la lutte au racisme et aux discriminations systémiques, établi à Montréal suite au rapport de juin 2020 de l’Office de consultation publique de Montréal. À cela s’ajoute les recommandations de valoriser et à soutenir les efforts des organisations représentatives des communautés racisées et d’étendre les programmes de formation sur les compétences interculturelles aux professionnels de la santé, de l’éducation et des forces de l’ordre.
Bien que des efforts colossaux demeurent toujours nécessaires pour décrasser le système du poison qu’est le racisme, il faut reconnaître que la voie est tracée vers une société libre d’injustices raciales. Le chemin est long, certes, mais il faut bien l’emprunter.
Références :
- Dhume, F. (2016). Du racisme institutionnel à la discrimination systémique ? Reformuler l’approche critique. Migrations Société.
- Feagin, J.R. (2023). Systemic Racism and White Racial Frames: A Critical Analysis. Socio: The New Journal of Social Sciences.
- Olusanya, B.O. (2021). Systemic racism in global health: A personal reflection. The Lancet Global Health.
- Souissi, T. (2024). Systemic Racism in Canada. In The Canadian Encyclopedia. Retrieved from https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/systemic-racism.
Yedidya Ebosiri
Rédactrice en Chef
Éternelle étudiante, Yedidya entame actuellement un diplôme de deuxième cycle universitaire en santé publique après avoir complété un baccalauréat en kinésiologie.
Le socle de ses intérêts professionnels repose sur la lutte contre les inégalités sociales de santé; elle rêve d’un monde plus sain, plus juste, plus vert. En attendant, elle puise dans ses racines congolaises pour militer en faveur d’une Afrique libre et féministe.
Tutrice pour une clientèle analphabète et intervenante de longue date en santé mentale, sa curiosité intellectuelle et son entregent caractérisent son parcours professionnel naissant. Autrefois éditrice pour un journal universitaire, elle ne cesse de nourrir sa passion pour le journalisme et se réjouit de mettre ses compétences rédactionnelles au service de sa communauté. Pour elle, Sayaspora incarne l’excellence noire et l’innovation sociale, d’où sa fière contribution au rayonnement du magazine.