1 août 2024
Par YEDIDYA EBOSIRI
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Quelque part en Ontario, un réfugié politique à faible revenu se voit refuser « sans raison » la visite d’un logement par un propriétaire méfiant. Dans l’Ouest canadien, une famille sud-asiatique nouvellement sur le sol canadien peine à obtenir un prêt dans une banque et subit les regards hostiles des employés. En banlieue québécoise, la candidature d’une jeune femme Mi’kmaw est ignorée en raison de son nom de famille et de son quartier de résidence.
La discrimination, phénomène complexe aux multiples visages, n’a pas de frontières. S’il existe plusieurs formes de discrimination indépendantes, la combinaison de divers types d’oppression donne lieu à un cocktail d’inégalités particulièrement explosif. En l’occurrence, la double discrimination basée sur l’origine ethnique et sur la classe sociale amplifie les injustices vécues par les individus se trouvant à l’intersection de ces catégories identitaires. Pour tendre vers une réelle justice sociale au Canada, il est essentiel d’en comprendre les causes pour ensuite traiter les symptômes.
Au Canada, la richesse de la mosaïque culturelle d’aujourd’hui est palpable […].
Qu’est-ce que l’origine ethnique?
Statistique Canada, conformément aux recommandations de l’ONU, définit l’origine ethnique ou culturelle comme « [celles] des ancêtres de la personne ». Typiquement, l’origine ethnique réfère ou non à un pays d’appartenance ou encore aux origines autochtones. Ainsi, une personne pourrait déclarer être d’origine africaine ou de l’Amérique centrale ; une personne pourrait également rapporter plusieurs origines ethnoculturelles à la fois.
Au Canada, la richesse de la mosaïque culturelle d’aujourd’hui est palpable, où 1 personne sur 4 fait partie d’un groupe racisé en 2020. Dès lors, la diversité éthique et culturelle fait partie du patrimoine canadien et désormais des valeurs nationales selon 92% des répondants de l’Enquête sociale générale de 2020. Notons que dans le cadre du Recensement de 2021, « plus de 450 origines ethniques et culturelles, 200 lieux de naissance, 100 religions et 450 langues ont été inclus » (Statistique Canada, 2022).
Ainsi, le portrait démographique canadien ne cesse d’évoluer vers une représentation dynamique de ces citoyens, reflétant la pluralité de leurs origines, cultures et identités.
Le terme « classe » désigne les interconnexions entre les attributs individuels des personnes […] et les conditions matérielles de vie.
Et la classe sociale?
Bien que la notion théorique de classe sociale soit débattue au sein des diverses écoles de pensées, elle fait référence dans le cadre de cet article au statut socio-économique. Ce statut est déterminé en fonction des ressources matérielles et sociales dont dispose un individu, tels le niveau d’éducation, le prestige et le revenu. Selon le sociologue et chercheur Erik Olin Wright (2009), le terme « classe » désigne les interconnexions entre les attributs individuels des personnes (par exemple, l’éducation, les ressources culturelles ou les connexions sociales) et les conditions matérielles de vie. Les classes sont donc le fruit du regroupement de ces deux éléments.
Par exemple, la classe dite défavorisée est composée de personnes qui ne disposent pas des ressources éducatives ou culturelles nécessaires pour vivre au-dessus du seuil de pauvreté ; à l’inverse, la classe favorisée regroupe des personnes ayant des moyens de production, vivent bien et s’enrichissent grâce au travail des autres.
Au Canada, la classe la plus aisée représente seulement 0,002 % de la population, possédant collectivement 259 milliards de dollars en 2016, soit l’équivalent de la richesse détenue par les 12 millions de Canadiens les moins fortunés. Parmi ces familles figurent des noms célèbres comme Thomson, Weston et Saputo.
La classe moyenne, caractérisée par des revenus annuels allant de 30 000 à 150 000 dollars, couvre un large spectre, avec des divisions sociologiques en segments supérieurs et inférieurs basés sur le niveau d’éducation, le prestige professionnel et le mode de vie.
En dessous de la classe moyenne, la classe ouvrière traditionnelle exerce des métiers manuels, tandis que les travailleurs pauvres, malgré un emploi à temps plein, gagnent souvent des salaires insuffisants pour subvenir à leurs besoins de base. Par exemple, en 2021, environ 2,8 millions de Canadiens vivaient sous le seuil de pauvreté.
[…] les effets pervers de la discrimination sont largement documentés […]. Ces conséquences pèsent lourd.
Comment fonctionne la discrimination?
Selon la loi canadienne sur les droits de la personne, autant l’origine ethnique que la classe sociale sont des motifs interdits de discrimination. On parle de discrimination lors d’un traitement défavorable basé sur une caractéristique individuelle encadrée par la loi qui empêche une personne d’exercer ses droits. C’était le cas pour 35,7% des Canadiens en 2022 dont 9,0% ont déclaré avoir subi un traitement injuste en raison de leur origine et 12% en raison de leur race.
Ainsi, l’exemple du réfugié politique à qui l’on refuse un logement est, a priori, une situation discriminatoire en présumant que le refus est attribuable au statut de réfugié et au faible statut socio-économique. Il s’agit ici d’un cas de double discrimination, où la fusion du classisme et de la xénophobie s’entremêlent abruptement.
Les mécanismes de cette double discrimination font l’objet de débat dans la littérature à cet effet. Certains pensent que l’origine et la race priment ; d’autres avancent que la discrimination est principalement une question de classe sociale. Cependant, la troisième école de pensées soutient plutôt l’interaction constante entre les deux catégories, ce qui appuie la notion d’intersectionnalité. Plusieurs études ont d’ailleurs montré que les effets de la double discrimination sur la détresse psychologique d’un individu n’étaient pas simplement additifs, mais interactifs ; la discrimination raciale et ethnique devenait plus prononcée parmi les individus de classe sociale inférieure.
À ce propos, les effets pervers de la discrimination sont largement documentés : inégalités persistantes en matière d’emploi, d’accès au logement, et de services essentiels tels que l’éducation et la santé ; détérioration de la santé mentale et physique en raison du stress constant et de la marginalisation sociale ; renforcement des cycles de pauvreté et d’exclusion sociale, rendant difficile pour les individus et les communautés de surmonter les obstacles socio-économiques et plus encore. Ces conséquences pèsent lourd. Par conséquent, leur élimination constitue une responsabilité sociale et collective.
[…] la société canadienne tente d’agir de manière proactive pour attaquer le problème.
Des solutions?
Bien qu’il reste du chemin à parcourir, la société canadienne tente d’agir de manière proactive pour attaquer le problème : d’abord, les efforts législatifs, dont la Loi canadienne sur les droits de la personne, permettent aux victimes de dénoncer les abus discriminatoires auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. D’autre part, la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme de 2019 s’articule autour de l’investissement dans des projets communautaires et en promouvant des politiques inclusives.
Au niveau provincial, le Plan d’action contre le racisme du Québec et la direction antiracisme de l’Ontario développent des mesures spécifiques pour réduire les inégalités. Enfin, des programmes sociaux, tels que l’Allocation canadienne pour enfants et des initiatives de logement abordable, visent à soutenir les familles à faible revenu, contribuant ainsi à réduire les inégalités socio-économiques et la discrimination associée.
L’ensemble de ces mesures représentent un premier pas vers la justice sociale tant espérée ; un bout de chemin vers un paradigme différent où les réfugiés, peu importe leur situation financière, ont accès à un logement. Un monde plus sain, plus accueillant où les familles sud-asiatiques et les jeunes femmes autochtones sont traitées avec respect et dignité.
Yedidya Ebosiri
Rédactrice en Chef
Éternelle étudiante, Yedidya entame actuellement un diplôme de deuxième cycle universitaire en santé publique après avoir complété un baccalauréat en kinésiologie.
Le socle de ses intérêts professionnels repose sur la lutte contre les inégalités sociales de santé; elle rêve d’un monde plus sain, plus juste, plus vert. En attendant, elle puise dans ses racines congolaises pour militer en faveur d’une Afrique libre et féministe.
Tutrice pour une clientèle analphabète et intervenante de longue date en santé mentale, sa curiosité intellectuelle et son entregent caractérisent son parcours professionnel naissant. Autrefois éditrice pour un journal universitaire, elle ne cesse de nourrir sa passion pour le journalisme et se réjouit de mettre ses compétences rédactionnelles au service de sa communauté. Pour elle, Sayaspora incarne l’excellence noire et l’innovation sociale, d’où sa fière contribution au rayonnement du magazine.