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Par Yedidya Ebosiri

Parler d’inégalités systémiques, c’est parler un jargon où s’entremêlent différents concepts essentiels pour comprendre et déconstruire les formes d’oppressions. Parlons d’inégalités systémiques, parlons d’intersectionnalité.

Qu’est-ce que c’est ?

L’intersectionnalité est un prisme d’analyse où les divers systèmes d’oppressions comme le racisme et le validisme s’entrecroisent et se renforcent réciproquement.

Chaque facteur – l’âge, le sexe et l’aptitude physique par exemple – s’influence de manière égale et peut exacerber la discrimination vécut.

Théorie afroféministe, l’intersectionnalité stipule que l’oppression vécue par un individu est déterminée par l’amalgame des aspects qui constituent son identité. Genre, classe sociale, religion, race et consorts : la juxtaposition et la pluralité des caractéristiques individuelles dictent les expériences de privilèges et d’oppression. Ainsi, un homme racisé de confession musulmane vit une discrimination systémique différente de celle d’une femme blanche ayant une incapacité physique.

L’analyse intersectionnelle reconnaît donc l’interaction dynamique et simultanée des éléments qui font d’une personne ce qu’elle est socialement et s’oppose de facto à l’uniformisation des expériences. Chaque facteur – l’âge, le sexe et l’aptitude physique par exemple – s’influence de manière égale et peut exacerber la discrimination vécut. En effet, l’intersectionnalité rejette la hiérarchisation de systèmes de domination ; elle avance plutôt que la lutte contre les diverses formes d’oppression n’est possible qu’en abordant leurs interactions complexes et leurs effets cumulatifs sur les individus.

Aujourd’hui, la théorie de l’intersectionnalité est un concept privilégié par les militants et les universitaires pour pointer l’articulation nuancée des multiples inégalités.

Bien que Crenshaw ait théorisé le concept, l’intersectionnalité tire ses racines du contexte américain post-esclavagiste évoquées dans différents ouvrages.

D’où est-ce que ça vient ?

Le terme a été employé pour la première fois par l’afro-féministe américaine, professeure et juriste Kimberle Crenshaw. En 1989, elle est l’auteure d’un texte d’analyse au sujet des poursuites judiciaires liées à la discrimination au travail et porte une attention particulière à la double discrimination vécue par les femmes noires : celle qui se rapporte à leur genre couplé au racisme systémique.

Bien que Crenshaw ait théorisé le concept, l’intersectionnalité tire ses racines du contexte américain post-esclavagiste évoquées dans différents ouvrages dont Femmes, race et classe d’Angela Davis.

Grâce à l’ensemble de ces travaux, l’invisibilisation totale des femmes racisées et marginalisées quant aux mouvements féministes des années 70 a été mise sous les projecteurs. En effet, le courant féministe dominant de l’époque est pensé formulé et instauré par des femmes blanches souvent issues de milieux aisés. Ce courant qui revendique l’émancipation des femmes passe toutefois sous silence la violence du vécu quotidien de leurs homologues noires qui sont simultanément les proies du racisme et du sexisme. Ainsi, l’intersectionnalité de Crenshaw met en lumière le caractère indissociable de ces deux systèmes de domination et souligne la particularité de situations invisibilisées.

Aujourd’hui, la recherche contemporaine se concentre désormais sur la création d’un outil intersectionnel cherchant à réformer les politiques de justice sociale et les stratégies de lutte contre les discriminations. Il est donc question de produire des connaissances intersectionnelles et d’utiliser ces connaissances dans les luttes politiques.

Y a-t-il des avis divergents sur la question ?

 Oui.

Même si l’injustice vécue par des groupes minoritaires est au cœur de la démarche intersectionnelle, l’intersectionnalité suscite certaines critiques dans le milieu académique et activiste.

[…] les modèles intersectionnels doivent être adaptés et contextualisés pour refléter précisément les complexités locales.

Concept foncièrement anglo-saxon, certaines remettent en cause la portée universelle de la théorie qui est issue du contexte américain. La théoricienne Jasbir K. Puar va jusqu’à dire que l’application de l’intersectionnalité en dehors du cadre occidental est potentiellement une forme d’impérialisme parce que les catégories d’analyse de cette théorie proviennent ultimement d’agendas coloniaux.

Pour les féministes marxistes, l’intersectionnalité nomme les endroits de domination, mais ne parvient pas à expliquer les origines des dynamiques de pouvoir et d’oppression. La critique marxiste rejette également l’absence de hiérarchisation des systèmes d’oppression : la classe prévaut au genre et à la race.

Ultimement, l’intersectionnalité se présente comme un cadre analytique crucial qui met en lumière la complexité et l’entrelacement des systèmes de domination.

Ces critiques démontrent la diversité des réalités sociales et des dynamiques de pouvoir à travers le monde, arguant que les modèles intersectionnels doivent être adaptés et contextualisés pour refléter précisément les complexités locales.

Comment ça s’applique, concrètement ?

De nos jours, les lunettes de l’insectionalité sont portées dans de nombreux contextes et par plusieurs organisations.

L’association Hébergement Femmes Canada en est un exemple du fait de son analyse intersectionnelle des violences vécues par les femmes et les individus issus de la diversité de genre. Ce regroupement révèle notamment que les personnes isolées et en zone rurale, les populations autochtones, les personnes noires, migrantes, et en situation de handicap font partie des groupes particulièrement vulnérables à la violence.

D’autre part, la Fédération autonome de l’enseignement a publié des bandes dessinées à travers le prisme de l’intersectionnalité. Ces œuvres illustrent alors les multiples formes de discrimination pouvant coexister et agir simultanément.

Actuellement, l’outil d’analyse comparative entre les sexes plus (ASC Plus) développé par le gouvernement canadien est un premier pas vers l’application systémique de l’approche intersectionnelle. Cet outil vise à évaluer les inégalités systémiques en produisant des données croisées « axées sur les processus qui s’intersectent et par lesquels le pouvoir et l’iniquité sont produits et reproduits ». (Gouvernement du Canada, 2023).

[…] son adoption croissante dans divers secteurs montre une volonté collective de promouvoir une société plus inclusive et équitable.

Et maintenant ?

Ultimement, l’intersectionnalité se présente comme un cadre analytique crucial qui met en lumière la complexité et l’entrelacement des systèmes de domination. Cette approche, initiée par Kimberle Crenshaw et enrichie par d’autres penseurs comme Angela Davis, révèle comment les identités multiples d’un individu influencent ses expériences de privilèges et d’oppressions.

Bien que critiquée pour son application universelle contestée, l’intersectionnalité demeure un outil essentiel pour transformer les politiques de justice sociale et renforcer les luttes contre les discriminations à travers le monde. Aujourd’hui, son adoption croissante dans divers secteurs montre une volonté collective de promouvoir une société plus inclusive et équitable, où chaque individu est pleinement reconnu dans sa complexité intersectionnelle.

 

Sources :

  • Maillé, C. (2022). Intersectionnalité. Dans l’Encyclopédie Canadienne. Repéré à https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/intersectionnalite
  • Bilge, S. (2009). Théorisations féministes de l’intersectionnalité. Diogène, 225, 70-88. https://doi.org/10.3917/dio.225.0070
  • Agence de la santé publique du Canada – Public Health Agency of Canada. (2022). Comment intégrer la théorie de l’intersectionnalité dans les analyses quantitatives d’équité en santé? : Une revue rapide et liste de vérification de pratiques prometteuses.
  • Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé. (2022). L’intersectionnalité : Parlons-en. Antigonish (N.-É.) : CCNDS, Université St. Francis Xavier.
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  • Yedidya Ebosiri

    Rédactrice en Chef

    Éternelle étudiante, Yedidya entame actuellement un diplôme de deuxième cycle universitaire en santé publique après avoir complété un baccalauréat en kinésiologie.

    Le socle de ses intérêts professionnels repose sur la lutte contre les inégalités sociales de santé; elle rêve d’un monde plus sain, plus juste, plus vert. En attendant, elle puise dans ses racines congolaises pour militer en faveur d’une Afrique libre et féministe.

    Tutrice pour une clientèle analphabète et intervenante de longue date en santé mentale, sa curiosité intellectuelle et son entregent caractérisent son parcours professionnel naissant. Autrefois éditrice pour un journal universitaire, elle ne cesse de nourrir sa passion pour le journalisme et se réjouit de mettre ses compétences rédactionnelles au service de sa communauté. Pour elle, Sayaspora incarne l’excellence noire et l’innovation sociale, d’où sa fière contribution au rayonnement du magazine.

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