Par Carla Guillaume
On le sait, bien : les médias sociaux favorisent le sentiment d’appartenance à une communauté, et dans cette quête quasi désespérée de validation virtuelle, nous en oublions souvent l’essentiel, soit notre vie privée, notre sécurité. Le web pourrait être l’une des places les plus obscures pour les femmes de notre communauté.
Si vous êtes actifs sur les réseaux sociaux, votre fil d’actualité a très surement été envahi il y a quelques semaines par une série de photos de vieillards, les cheveux blanchis, la peau plissée. Ces vieillards n’étaient nul autre que vos amis qui prenaient part au #FaceAppChallenge, en référence à cette application qui vous fait paraitre plus âgé. L’application lancée en 2017 par un développeur russe du nom Yaroslav Goncharov a su piquer la curiosité des internautes le mois dernier et cela ne s’est pas fait sans conséquence.
Peu de personnes ont vraiment lu les termes et conditions de cette application qui s’est d’ailleurs hissé au numéro un des applications gratuites sur l’AppStore. Toutefois en lisant les petits caractères, on réalise bien que l’application est un aspirateur de données. Pour vous vieillir, FaceApp utilise l’intelligence artificielle pour apprendre en continu les traits de votre visage et les stocker sur un Cloud qui appartiendra de manière perpétuelle et irrévocable aux développeurs de l’application. A ce stade, vous avez déjà consenti à donner vos données personnelles à des corporations qui pourront ensuite faire circuler et transférer vos informations sans vous en informer.
Bien que les termes et conditions de FaceApp ne diffèrent pas fondamentalement des autres applications très populaires comme Facebook, Instagram ou Twitter, il y a sans aucun doute matière à s’inquiéter. Sachez que le profilage de données est un réel problème et il peut s’avérer très sérieux en particulier pour les femmes issues des minorités. S’il est vrai que l’application n’a pour le moment été relié à aucun scandale, le débat demeure très pertinent pour notre commuté, du moins.
FaeceApp n’est qu’un exemple d’application qui arrive à s’ingérer dans notre vie privée pour collecter des données que nous acceptons naïvement de concéder aux géants du Net et qui pourraient plus tard être utilisées contre nous lors d’opérations de ciblage ou même pour susciter notre méfiance à l’égard de certains produits, mouvements ou du système politique en général. Or, comprenez que l’apathie et la désinformation, surtout au sein d’un groupe marginalisé, est très dangereux. Pensons par exemple à la commission du Sénat américain qui avait démantelé en 2018 un complot russe pour cibler et diviser l’électorat noir lors de la dernière campagne présidentielle, et ce grâce une opération de propagande pour contrecarrer l’activisme anti-Trump. Cette année-là, la participation électorale des Afro-Américains a été l’une des plus basse depuis 1988. Bien sûr, le lien entre la propagande russe et le vote noir n’est pas clair et explicite. Cependant, le Sénat américain a tiré des conclusions plutôt inquiétantes de cette affaire: le profilage de données est bel et bien un outil de valeur pour manipuler l’opinion public.
Les femmes africaines ont intérêt à prendre part au mouvement pour un internet égalitaire mais aussi respectueux de notre vie privée. Ces corporations géantes sont conscientes de notre potentiel et de notre pouvoir tant social et politique. Les données dont elles disposent peuvent non seulement être utilisées pour compromettre notre activisme et notre capacité à se mobiliser, mais elles peuvent aussi servir à alimenter d’autres fléaux dans notre communauté comme la représentation ou la sexualisation de notre image. Que ce soit pour la politique ou le marketing, ces hommes blancs qui contrôlent le monde de la technologie et du cyberespace sont responsables de plusieurs abus. Avec nos informations, ils peuvent contrôler la perception que nous avons l’une de l’autre, notre intérêt à s’impliquer dans notre communauté et notre capacité à se connecter à travers la diaspora pour démanteler les systèmes qui nous oppressent.
En tant que femmes africaines ou issue de la diaspora, nous devons absolument nous intéresser davantage au débat sur la cybersécurité. Nous avons besoin de plus de discussions sur l’utilisation de nos données personnelles et le pouvoir que nous consentons à donner à ces organisations qui ont tout, sauf notre intérêt, à cœur.
Carla Guillaume
Auteure
Carla Guillaume est une jeune et fière Canadienne d'origine haïtienne qui a grandi à Montréal. Actuellement en cours de maîtrise en administration publique, elle se considère comme une mordue de politique, passionnée par les affaires internationales et les questions liées à l'environnement et aux nouvelles technologies. C'est une lectrice avide qui aime aussi débattre et écrire sur une variété de sujets, des affaires aux questions de genre. Aventurière dans l'âme, elle cherche toujours à découvrir de nouveaux endroits et à s'immerger dans d'autres cultures. Elle aime s'occuper avec divers passe-temps, notamment la danse folklorique haïtienne, le piano et la cuisine. Suivez-la sur Twitter et Instagram!