30 octobre 2024
Par Josie Fome
En ce qui concerne l’histoire du genre et de la sexualité en Afrique, les historiens, les anthropologues et même les chercheurs ont, jusqu’à récemment, raconté une histoire incomplète.
L’Afrique, et les Africains, ont souvent été dépeints avec un pinceau large, aux deux extrêmes. D’une part, ils font l’objet d’un exceptionnalisme sexuel africain en ce qui concerne les relations entre personnes de même sexe et la croyance que de telles relations n’étaient pas répandues en Afrique ou n’étaient pas familières aux Africains précoloniaux ; d’autre part, les perceptions occidentales actuelles des Africains continuent de prévaloir avec les mythes des « femmes super viriles et lascives ».
Les rapports sur les relations homosexuelles s’étendent de la Corne de l’Afrique à la côte de l’Afrique de l’Ouest.
Néanmoins, alors que la société moderne continue de s’opposer à ces stéréotypes dépassés grâce à des recherches plus approfondies et plus complètes, des documents provenant des archives coloniales – et des récits oraux transmis – sont mis en évidence, montrant non seulement que de nombreuses cultures africaines intégraient des « performances de genre transgressives » dans leur tissu culturel, mais aussi que, dans de nombreux espaces, les rôles de genre n’étaient pas aussi rigides qu’ils ont évolué jusqu’à aujourd’hui.
Les rapports sur les relations entre personnes du même sexe s’étendent de la Corne de l’Afrique à la côte de l’Afrique de l’Ouest. Par exemple, au Soudan, chez les Moro, les Tira et les Nyima de Nubie, « les hommes non masculins étaient appelés lando par les Nuban Krongo (Korongo) et tubele par les Mesakin, et ils pouvaient épouser des hommes ». Pour les femmes du sud-ouest du Soudan, les Zande, les rapports indiquent qu’il y avait « des amitiés spéciales entre les femmes qui imitaient les relations de fraternité par le sang des hommes. Deux femmes cassaient un épi de maïs rouge sang (kaima) et prononçaient une formule magique : « Après cela, elles ne doivent plus s’appeler par leur nom propre, mais s’appeler bagburu ». Celle qui est la femme fait cuire de la bouillie et une volaille et les apporte à celui qui est le mari. Ils font cela entre eux plusieurs fois. Ils ont des rapports sexuels avec des patates douces taillées en forme de pénis circoncis, avec du manioc taillé et aussi avec des bananes ». Ces relations n’étaient cependant pas approuvées par les hommes Zande, qui considéraient le lesbianisme comme « très dangereux ».
Il ne serait pas exagéré d’affirmer que de toutes les importations que les gouvernements coloniaux ont apportées à l’Afrique, l’une des plus importantes, des plus fortes et des plus durables est l’homophobie.
Dans l’actuel Burkina Faso, « des relations organisées en fonction de l’âge et du sexe (plus encore que chez les Zande) ont été observées chez les Mossi au début du XXe siècle. Les sorones, ou pages, étaient choisis parmi les plus beaux garçons âgés de sept à quinze ans. Ils s’habillaient en femmes et assumaient d’autres attributs féminins, y compris le rôle sexuel des femmes auprès des chefs, en particulier le vendredi, jour où les rapports sexuels avec les femmes étaient interdits.
Et dans l’actuel Bénin, « les rapports historiques font référence à des modèles de même sexe dans la cour royale du royaume du Dahomey qui ont émergé au XVIIIe siècle ». À peu près à la même époque, un rôle privilégié pour les hommes non masculins a été observé à la cour du Dahomey à Ouidah. Appelés lagredis, ils étaient choisis parmi les fils des meilleures familles du pays. [Les femmes du royaume du Dahomey, plus communément appelées « les amazones », n’étaient pas censées se marier et, de leur propre aveu, elles ont changé de sexe. Nous sommes des hommes, disent-elles, pas des femmes. Tous s’habillent de la même façon, suivent le même régime alimentaire, et les hommes et les femmes s’imitent les uns les autres… » Les histoires et les résultats continuent de s’étendre à d’autres pays, notamment le Ghana, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Tanzanie, le Liberia et le Nigeria.
« Pour la plupart des femmes africaines (à l’exception de certaines femmes urbaines), la période coloniale a été caractérisée par des pertes significatives de pouvoir et d’autorité […] ».
Avec un tel nombre de rapports sur les relations entre personnes de même sexe dans le contexte africain, comment l’Afrique en est-elle venue à être considérée comme l’un des continents les plus répressifs en matière d’homosexualité ? Il ne serait pas exagéré d’affirmer que de toutes les importations que les gouvernements coloniaux ont apportées à l’Afrique, l’une des plus importantes, des plus fortes et des plus durables est l’homophobie.
Tout cela a été fait à dessein, pour imposer superficiellement des visions du monde occidentales aux sociétés africaines. « Pour la plupart des femmes africaines (à l’exception de certaines femmes urbaines), la période coloniale a été caractérisée par des pertes significatives de pouvoir et d’autorité. Les fonctionnaires coloniaux ont propagé des stéréotypes de genre occidentaux qui assignaient les femmes au domaine domestique, laissant les questions économiques et politiques aux hommes.
Bien que les hommes africains aient également souffert de la domination coloniale, les opportunités se sont multipliées pour eux alors qu’elles ont diminué pour les femmes. Dans toute l’Afrique, le pouvoir politique et économique que les femmes détenaient autrefois a été réduit par le colonialisme. Pour les hommes efféminés, qui auparavant étaient simplement laissés tranquilles par les membres de leur communauté, le conformisme est devenu une question de survie… se conformer à la réalité imposée, dissimuler sa vraie nature, ou être soumis aux dures conséquences des dirigeants coloniaux.
Les Africains de la diaspora qui s’identifient comme homosexuels […] doivent souvent non seulement naviguer dans des espaces homophobes, mais aussi supporter le poids du racisme systémique […].
« De nombreux Zimbabwéens de souche ont été jugés pour des pratiques homosexuelles, ainsi que pour le travestissement. Ainsi, plus de 400 cas de comportement homosexuel ont été enregistrés rien qu’entre 1892 et 1932. La croyance selon laquelle les pratiques sexuelles entre personnes de même sexe étaient moralement, et donc légalement, répréhensibles a été introduite au Zimbabwe par les colonisateurs européens. Ces affaires judiciaires marquent l’introduction de ces lois au Zimbabwe, jetant les bases d’une future législation anti-homosexuelle dans la région ».
Les effets de ces lois répressives se font encore sentir aujourd’hui.
Pour les Africains de la diaspora qui s’identifient comme homosexuels, même si beaucoup peuvent trouver refuge dans un pays comme le Canada pour y vivre pleinement leur vie, ils doivent souvent non seulement naviguer dans des espaces homophobes, mais aussi supporter le poids du racisme systémique ; une arme à double tranchant qui épuiserait n’importe qui rien qu’à l’idée de quitter son foyer quotidiennement.
Statistiques Canada a signalé que les crimes haineux contre les Noirs et les homophobes ont augmenté de manière significative après la pandémie. « Les incidents visant la population noire représentent plus de la moitié (57 %) de l’augmentation des crimes de haine raciale ou ethnique en 2022. Sur les 491 crimes de haine visant une orientation sexuelle enregistrés en 2022, près des trois quarts (74 %) visaient spécifiquement les gays et les lesbiennes.
[…] l’homosexualité en Afrique n’a rien de nouveau, d’étranger ou d’occidental.
En conséquence, en réponse et en dépit de ces luttes, les Noirs et les Africains du Canada continuent de faire de leur mieux pour se tailler une place. Des organisations comme Black Queer Network, The Enchanté Network, Egale et bien d’autres se sont mises au service des personnes et des questions 2SLGBTQI.
Pour les personnes queer, tant sur le continent que dans la diaspora, le chemin à parcourir est encore long : plus de trente pays africains interdisent les relations entre personnes de même sexe et les crimes de haine sont en augmentation au Canada.
Alors que le travail long et souvent fastidieux se poursuit, on peut trouver du réconfort dans l’ampleur du travail accompli pour dissiper les mythes qui se sont maintenus pendant trop longtemps et dans le fait de savoir que l’homosexualité en Afrique n’a rien de nouveau, d’étranger ou d’« occidental ».