Icône d'un soleil complexe

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10 septembre 2024

Par Yedidya Ebosiri

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Beautés couleur café, couronne défiant la gravité : qu’est-ce qu’elles sont belles, les femmes de chez nous !  La terre mère a béni ses filles de traits uniques et d’un charme dépassant les frontières. Beauté au pluriel, beauté aux mille visages. Or, ce qui fait leur unicité a longtemps été le sujet de violente déshumanisation et les stéréotypes en sont les vestiges.

Au 15e siècle, la colonisation sévit de main ferme sur le continent africain. Pour légitimer son existence, les Européens instrumentalisent le racisme pour justifier l’exploitation de leur homologue africain. Ainsi, leur prétendue supériorité morale leur donne le plein droit d’exercer leur domination sur les peuples du continent afin d’en faire une civilisation. Ce racisme décomplexé se propage en dehors des colonies, où des récits fantasmés par les colons alimentent les croyances à l’égard des Africains, au Nord comme au Sud. Au cœur de ces histoires rocambolesques, les personnages principaux sont d’autant plus mythifiés lorsqu’ils sont des femmes.

Femme du Sud

Séductrice et sauvage

Archétype de la bestialité selon les discours d’autrefois, les femmes africaines et noires de peau n’ont rien d’humain dans les images véhiculées par les colons.  Elles accouchent en public, disaient-ils, se pavanent nues telles des sauvages primitives et portent leurs enfants sur le dos. Dans les écrits, les penseurs et les décideurs blancs insistent sur l’immonde et fascinante apparence des Africaines alors assujetties aux horreurs de la colonisation. Dans ce paradoxe s’inscrit une fascination pernicieuse pour le corps de la femme noire : son hypersexualisation atteint son paroxysme au 17e siècle, où on lui confère un appétit et des prouesses sexuelles démesurés rationalisant les viols. La tristement célèbre Saartjie Baartman – Sawtche étant son véritable nom – aussi connue sous le pseudonyme de la « Vénus hottentote », en est le symbole à l’époque de son calvaire.

Si ce cas extrême de déshumanisation n’est plus socialement acceptable, le stéréotype de la Jézabel afro, prédatrice et libertine, demeure. C’est pour cette raison que la fillette noire qui subit une agression sexuelle « le voulait probablement » ; c’est aussi pour cela que la meilleure amie noire dans les séries télévisées joue   systématiquement l’aguicheuse.

[…] la Sapphire, cette caricature de l’esclave dominante, masculine et violente, était la personnification de la femme noire moderne.

Belliqueuse et masculine

Alimentée par les religions abrahamiques associant l’obscurité de la peau à une malédiction divine, la femme noire de peau incarne simultanément l’agressivité et la cruauté. Masculinisée en raison des tâches laborieuses auxquelles les colons l’affectaient, elle subissait de multiples formes d’agression. Parmi les mythes dont elle était l’objet, la femme noire accouchait sans douleur, permettant un retour au travail quasi immédiat. En Amérique du Nord, ces préjugés sur la femme afrodescendante en périodes post-esclavage étaient perpétués dans les médias ; la Sapphire, cette caricature de l’esclave dominante, masculine et violente, était la personnification de la femme noire moderne.

 

Est-ce toujours le cas aujourd’hui ? Serana Williams vous dira peut-être oui. Naomie Musenga aussi. Le cliché de la femme noire en colère et celui de la femme sans douleur sont criants autant dans la culture populaire que dans la chambre d’hôpital ; le syndrome méditerranéen, croyance meurtrière que les personnes racisées exagèrent leur expérience de la douleur, coûte la vie de milliers de femmes. Parallèlement, le stéréotype de la Sapphire co-existe avec celui de la femme noire forte – the Strong Black Woman, qu’on balance à tout va sur les réseaux sociaux. Croyance omniprésente, il s’agit d’un amalgame de stéréotypes sur la femme afrodescendante : autoritaire, résiliente et nourricière. Les besoins des autres passent avant les siens. Bien que ce mythe culturel s’oppose à celui de la femme noire opprimée et hypersexualisée, il s’avère un véritable boulet de fer sur la santé mentale de ces femmes.

Danseuse de ventre et Shéhérézade, l’objectification des femmes dites « orientales » était particulièrement violente.

Femme du Nord

Sensuelle étrangère

Si la colonisation de l’Afrique subsaharienne et ses dérivés sont largement documentés, la colonisation de l’Afrique du Nord et ses impacts sur la femme maghrébine l’est tout autant. Fortement sexualisée, la « Mauresque » — nom donné aux femmes nord-africaine issue du terme « maur » — est un préjugé issu de la pornographie coloniale. Sous les regards pervers d’hommes européens, des photographies explicites sont diffusées en masse sur le continent à l’époque de la domination coloniale française en Algérie. Les contes des Milles et une nuit inspirent alors des peintures érotiques d’odalisques, esclaves sous l’Empire ottoman. Danseuse de ventre et Shéhérézade, l’objectification des femmes dites « orientales » était particulièrement violente.

Servante silencieuse

À l’opposé s’ajoute le cliché de la femme voilée que l’on confère aux Nord-Africaines ; soumise, exotique, opprimée. Dans les films américains, elles ne forment que le décor, un peu pour signifier que les personnes principales se retrouvent désormais en terre hostile. Elles ne parlent que peu. Leur présence, presque imperceptible.

Il faudra décoloniser un esprit un à la fois.

De nos jours, ces stéréotypes misogynes et racistes demeurent ancrés dans la culture occidentale. Jasmine, allongée sur le tapis volant d’Aladdin, est aussi la jeune maghrébine de banlieue représentée une énième fois dans le cinéma français. Dans le même film, la maman musulmane et voilée s’éclipse en arrière-plan, la parole lui étant arrachée. Nombreux sont les témoignages de femmes maghrébines ayant subi des actes discriminatoires en Occident dont le goût amer indique des motifs stéréotypés.

Femme du monde

Héritage colonial, les stéréotypes négatifs hantent parfois le quotidien des femmes de la diaspora africaine tant en Occident qu’en Orient. Tantôt discrets, tantôt flagrants. Ils sont là, ils existent. Pour les déconstruire, il faudra du temps, de la bienveillance et de l’introspection. Il faudra décoloniser un esprit un à la fois.

 

Références

  • Bedouret, D. (2011). Les stéréotypes de l’Afrique noire à travers le lexique et le discours de la géographie scolaire dans les manuels des années 1950 à nos jours. In M. Nglasso-Mwatha (éd.), L’imaginaire linguistique dans les discours littéraires politiques et médiatiques en Afrique (1‑). Presses Universitaires de Bordeaux. https://doi.org/10.4000/books.pub.35863
  • CLANCY SMITH, J, Traduit de l’américain par & ARMENGAUD, F (2006). Le regard colonial : Islam, genre et identités dans la fabrication de l’Algérie française, 1830-1962. Nouvelles Questions Féministes, 2006/1 Vol. 25. pp. 25-40. https://doi.org/10.3917/nqf.251.0025.
  • Damla Altinkaynak (2021). L’exotique, la soumise et la terroriste : la représentation de la femme arabe à Hollywood. Sciences de l’Homme et Société. ⟨dumas-03405334⟩
  • Godbolt, D., Opara, I., & Amutah-Onukagha, N. (2022). Strong Black Women: Linking Stereotypes, Stress, and Overeating Among a Sample of Black Female College Students. Journal of black studies53(6), 609–634. https://doi.org/10.1177/00219347221087453
  • KATZENELLENBOGEN, Simon (1999). « Femmes et racisme dans les colonies européennes », Clio [En ligne], 9 | mis en ligne le 22 mai 2006, consulté le 09 septembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/clio/290 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.290
  • Lalaoui-Chiali, Fatima Zohra (2010). “Stéréotypes, écrits coloniaux et postcoloniaux : le cas de l’Algérie”, Itinéraires [Online] | Online since 01 May 2010, connection on 10 September 2024. URL: http://journals.openedition.org/itineraires/2125; DOI: https://doi.org/10.4000/itineraires.2125
  • LE BIHAN, Y (2006). « La femme noire » dans l’imaginaire occidental masculin. L’Autre, 2006/1 Volume 7. pp. 43-59. https://doi.org/10.3917/lautr.019.0043.

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  • Yedidya Ebosiri

    Rédactrice en Chef

    Éternelle étudiante, Yedidya entame actuellement un diplôme de deuxième cycle universitaire en santé publique après avoir complété un baccalauréat en kinésiologie.

    Le socle de ses intérêts professionnels repose sur la lutte contre les inégalités sociales de santé; elle rêve d’un monde plus sain, plus juste, plus vert. En attendant, elle puise dans ses racines congolaises pour militer en faveur d’une Afrique libre et féministe.

    Tutrice pour une clientèle analphabète et intervenante de longue date en santé mentale, sa curiosité intellectuelle et son entregent caractérisent son parcours professionnel naissant. Autrefois éditrice pour un journal universitaire, elle ne cesse de nourrir sa passion pour le journalisme et se réjouit de mettre ses compétences rédactionnelles au service de sa communauté. Pour elle, Sayaspora incarne l’excellence noire et l’innovation sociale, d’où sa fière contribution au rayonnement du magazine.

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