20 octobre 2019
Par Michelle Camara
Ifemelu secoua la tête et se tourna vers la fenêtre. La dépression est le genre de choses qui arrivent aux Américains, avec leur besoin absolu de tout transformer en maladie. Elle ne souffrait pas de dépression; elle était simplement un peu fatiguée et un peu lente. «Je n’ai pas de dépression», dit-elle. Des années plus tard, elle écrivait un poste sur son blog à ce sujet: «À propos des Noirs non américains souffrant de maladies dont ils refusent le nom».
Traduit de la version anglaise, Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie
Vous vous souvenez de ce passage dans Americanah, de Chimamanda Ngozie Adichie, celui où Ifemelu fait une dépression sans pouvoir la nommer? Bien (trop) souvent malheureusement, nous africains, du continent ou de la diaspora, avons tendance à ignorer, minimiser, railler ou pire, à diaboliser les troubles de santé mentale. Au mieux ces troubles n’existent pas, au pire ils sont mis sur le compte de la sorcellerie.
Nous aimons nous voir comme des forces de la nature, infatigables tant sur le plan physique que mental. J’ai parfois l’impression que nous nous considérons nous-même comme des bêtes increvables qui doivent accomplir des travaux colossaux sans gémir, se plaindre ou faiblir. Les dépressions, les burn out et tout autre signe de fragilité mentale seraient l’apanage des blancs occidentaux, ou des riches qui ont le temps de se poser ces questions.
Pourtant, la dépression se définit comme un état mental caractérisé par de la lassitude, du découragement, de la faiblesse, de l’anxiété. En quoi cette définition peut-elle être limitée à une couleur de peau, une origine ou un statut sociale? Bien souvent nous évoluons dans des contextes familiaux plus complexes que nos collègues occidentaux. Des contextes complexes qui nous endurcissent (ou nous brisent). Quand on est africain, père de famille, ainé d’une fratrie ou une mère isolée, on a certes, mille et une raisons de vouloir être fort et résistant mais tout autant de raison de sombrer dans une dépression.
En tant que personne africaine ou d’origine africaine on se met toujours deux fois plus de pressions, car dès le plus jeune âge on nous répète qu’il faudra faire deux fois plus d’efforts, même si c’est pour jouir de deux fois moins d’avantages. On vit aussi avec deux fois plus de contraintes, celle des sociétés occidentalisées et celles de nos pays d’origine qui sont parfois totalement contradictoires. Ce sont autant de paramètres qui peuvent fragiliser notre santé mentale.
Française issue de la diaspora ouest africaine, j’ai moi aussi grandi dans un environnement plein de contradictions, tiraillée entre mon éducation africaine et les principes de vie à l’occidentale. L’adolescence, qui est naturellement une période de recherche d’identité et d’affirmation de soi, a sans doute été l’une des périodes les plus troubles pour moi. Avec le recul, je me rends compte que mes questionnements, mes doutes et mes peines étaient tout à fait légitimes pour l’ado que j’étais. Alors oui, j’ai morflé sans broncher et il n’y a pas eu mort d’homme, me voilà aujourd’hui indemne, ou presque, mais à l’époque j’aurais aimé qu’on me donne l’autorisation d’être fragile en dépit de mes origines. Au lieu de ça, j’ai tout enfoui. Ce n’est qu’à l’âge adulte que j’ai appris à accepter ma fragilité et pris la décision de faire face à mes doutes et ma part d’ombre.
Ceci n’est pas une invitation à la complainte, simplement une incitation à prendre plus soin de soi. Jouer les gros dures ne fait que nous enfermer dans un incessant et nocif dialogue interne, ce qui, à terme, peut nous empêcher d’atteindre notre plein potentiel. Assumer sa part de fragilité permet de mieux la gérer pour se laisser enfin évoluer.
N’ayez ni peur, ni honte, trouvez de l’aide!
ACCÉSSS est un regroupement provincial d’organismes communautaires qui a comme objectif de représenter les intérêts des communautés ethnoculturelles auprès des instances décisionnelles en matière de santé et services sociaux. https://accesss.net/fr/ et la liste de ses organismes membres https://accesss.net/fr/organismes-membrrs/
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Michelle Camara
Auteure
Française née d’une mère guinéenne et d’un père béninois, Michelle est une passionnée d’échanges interculturels et une amoureuse des mots. Son intérêt pour le voyage et l’écriture l’ont mené à suivre des études et un début de carrière internationales qui l’ont conduite à Paris, Montréal, Lima ou encore Kuala Lumpur. Fière de ses origines et de son parcours Michelle veut promouvoir une africanité rénovée et sans limite. Pour elle, Sayaspora est un moyen de partager son afro-enthousiasme sous toutes ses formes.